11 décembre, 2006

DENISE HARO 1

J’ai toujours voulu écrire l’histoire de ma famille, revenir aux origines de ma propre histoire, en utilisant les souvenirs racontés par les uns et les autres.
Ce patrimoine commun, le plus souvent sujet à controverse, enrichi au fil du temps de versions complémentaires pour ne pas dire contradictoires, menacé par la disparition des anciens, se devait d’être figé pour passer à la postérité.
Cette mission que je m’étais inventée, me hantait de façon récurrente, et je me promettais, après l’avoir maintes fois reportée, de m’en acquitter dans les plus brefs délais, promesse, hélas, sans cesse trahie.
Les lieux de notre passé commun, l’Andalousie du XIXème siècle, la région minière du Nord Est d’Almeria pour être précis, la Sierra Almagrera pour l’être encore plus, sont devenus depuis la libéralisation du régime espagnol, après la mort de Franco, un sujet d’études qui a été à l’origine d’une littérature abondante.
Déjà dans les années 1960, Juan Goytisolo, avec son Campos de Nijar, avait érigé cette région en symbole de la barbarie de la guerre civile, et son périple expiatoire, m’avait familiarisé avec les lieux de vie de mes arrières grands parents.
De nombreux voyages, passés notamment à revisiter l’itinéraire qu’il décrit minutieusement, à vouloir retrouver les paysages qu’il avait contemplé, m’avaient confortés dans cette quête,
m’amenant à réunir un impressionnant matériel de photos, brochures et autres références sur le sujet.
C’est en fait la lecture attentive de documents d’état civil détenus par mes parents, qui un après midi d’été, nous avaient permis mon frère et moi de mesurer les liens qui nous unissaient à cette région, en construisant un premier arbre généalogique familial, indiquant les lieux de naissance de nos grands parents et de leurs ascendants.
La contemplation de cet arbre, son rapprochement avec les quelques photos dont nous disposions, sa confrontation avec notre connaissance des lieux, allait permettre à ce projet de prendre corps.
Les liens entre l’Espagne quittée en 1909, et l’ Algérie quittée en 1962, apparaissaient alors comme le fil conducteur de l’histoire de cette famille, permettant de comprendre ce qui avait poussé Juan Manuel Deharo Cervantes notre grand père à choisir l’immigration en y entraînant sa famille, et celle de sa belle sœur.
Une photo, celle de José et Denise, mes parents, jeunes, adossés côte à côte sur la barrière de bois de leur nouvelle propriété apparaît comme un point médian de l’histoire, une pause de bonheur retrouvé, entre deux périodes migratoires.
Sur cette photo, leurs yeux hésitent entre l’objectif du photographe, et la terre à leurs pieds. Ils échangent un regard fugitif, symbole de leur complicité, et de la confiance dans ce pays nouveau qui les accueillait.
A l’arrière plan, dans l’encadrement de la porte, la silhouette de la grand mère maternelle, Damiana, semble couver les époux dont on comprend déjà qu’ils sont chargés de l’héritage qu’elle avait implicitement accepté d’assumer en suivant Juan Manuel quelques 40 ans plus tôt.
Ma mère, le regard languide, enveloppée dans un châle de laine tricotée, mon père coiffé d’un béret noir, l’air dégagé et insouciant étaient les premiers enfants de deux familles de Vera qui avaient décidé de quitter l’Espagne pour l’Algérie.

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