11 février, 2007

UNE HISTOIRE DE VELOS

Notre autre camarade de jeux, Alain Gomez habitait en face de chez nous. Plus jeune garçon d’une famille de trois enfants, il avait deux sœurs plus âgées que lui, il était souvent réquisitionné par son père après l’école ou pendant les vacances pour l’aider à son atelier de mécanique.
Il m’arrivait souvent en venant chercher Alain Gomez de pénétrer dans la maison vide jusqu’à l’atelier et de le trouver aux cotés de son père penché sur un étau en train de limer ou de tarauder des pièces de moteur. Les deux silhouettes en bleu de travail continuaient de travailler sans s’apercevoir de ma présence couverte par le bruit, et je comprenais que AG ne pourrait pas venir jouer avec nous.
Par réaction, il lui arrivait de partir de chez lui en empruntant le vélo familial à l’insu de son père. Pour se prémunir contre les risques que cela lui faisait encourir, il emportait sous sa chemise, la statuette de la vierge qui se trouvait sur la cheminée de la maison et nous déclarait très sérieusement :

- Si j’esquintes le vélo de mon père je prends une raclée, mais si en plus je casse la Sainte Vierge….!!
Le vélo occupait une grande place dans nos jeux. Il avait un statut spécial, car nos parents ne le considérait pas comme un jouet pour nous, à cause des risques qu’il comportait, alors que nous pensions le contraire.
Mes parents avaient acheté un vélo demi course, bleu métallisé, à mon frère aîné, qui absent d’Aïn-El-Arba pendant les périodes scolaires, l’utilisait très peu. Mon oncle Melchiorico le plus jeune frère de papa qui travaillait dans l’entreprise paternelle en avait l’usage.
Les frères que nous étions trouvaient cela injuste, car ce qui appartient au frère doit revenir aux frères.
Les matins de vacances, nous nous levions très tôt pour guetter l’arrivée de notre oncle sur le vélo convoité.
Sa grand carcasse voûtée au-dessus du cadre apparaissait fantomatique sur les bords de l’oued dans le soleil levant. Il pédalait nonchalamment, laissant le vélo aller le plus souvent en roue libre, ce qui nous faisait enrager en pensant très fort :

- sur un vélo de course ! il pourrait aller plus vite !

L’autre chose qui nous énervait était la façon qu’il avait de fixer son cartable de cuir marron sur le cadre en le refermant dessus.
Le mouvement nonchalant que le pédalage tranquille donnait au vélo dans le soleil, la taille de mon oncle qui s’ingéniait à se tenir le torse droit, le mouvement de balancier du cartable sur le cadre, tout donnait à son arrivée une allure qui nous légitimait dans notre volonté de faire vivre à ce vélo autre chose que les déplacement de l’honorable maçon qu’était mon oncle.
Dès que mon père et lui étaient partis, nous courrions au vélo pour le libérer.
Il était tellement grand pour nous, que nous pédalions les jambes à l’intérieur du cadre, les bras au-dessus pour pouvoir saisir le guidon.
Cette position inconfortable faisait que nous tournions seulement dans la cour sans oser nous aventurer sur les rues devant la maison.
Nous étions simplement heureux d’être montés sur le vélo de notre grand frère.
Jamais personne, même notre mère qui était à la maison, ne savait qu’en l’absence de notre père nous utilisions le vélo.
Nous prenions les plus grandes précautions pour ne pas être vus, et surtout ne pas tomber en éraflant la peinture bleue du vélo et laisser des traces de notre utilisation clandestine. Sans bénéficier des mêmes protections qu’Alain avec sa statue de la sainte vierge, nous espérions aussi être couverts par l’assurance qu’il avait contracté. Nos vœux furent exaucés et chaque soir, nous déposions un vélo aussi rutilant que celui que nous avions pris le matin.

Une autre histoire de vélo est associée à mon oncle Melchiorico. Père de 4 enfants, qui possédaient chacun une bicyclette, il avait mis au point un astucieux stratagème pour leur faire croire que le père noël leur apportait un nouveau vélo chaque année. Comme par enchantement tous les vélos disparaissent vers le début du mois de décembre, et se retrouvaient à la maison dans le magasin de matériel. Là, mon oncle révisait chaque engin, et les repeignait entièrement de façon à ce que mes cousins trouvent le matin de Noël un nouveau vélo, plus grand plus brillant plus beau que celui qu’il avait utilisé pendant l’année écoulée.
Par l’intermédiaire de mes frères, plus âgés, qui participaient à l’entreprise de maquillage, j’étais au courant de l’affaire des vélos de tonton Melchiorico, et je me gardais bien d’en parler, trop content que j’étais d’être au courant d’une histoire de grands.

Aucun commentaire: