28 janvier, 2007

MON NOUVEAU SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA ( 4)

Cet après-midi là, depuis le parapet du marabout je voyais un récipient de fer blanc rempli de coings mis à dégorger avant la préparation de la confiture.

Nous avions mis les fruits dans ce récipient de fer blanc, nous disions un cacharro, une sorte de gamelle réformée dont l’usage peut être multiple, et nous l’avions rempli d’eau.
Sous nos soins vigilants, et quelques vigoureux coups des bâtons dont nous nous servions comme des louches, le dégorgement des coings avait été accéléré.
Notre curiosité nous amenant à goûter l’un de ces fruits amer et astringent après son séjour dans l’eau, nous nous demandions comment cela pouvait donner cette gelée de coings à la saveur doucereuse.

Depuis le muret du Marabout on voyait également toute la cour de la maison, jusqu’aux cages des lapins contre le mur du fond.
L’aspect monumental du mur de clôture qui la ceignait, un ouvrage de maçonnerie bâti après l’achat et l’extension du bâtiment en 1950, était impressionnant.
La qualité du portail central, deux énormes battants de bois renforcés de traverses de métal, procédait de la même logique. Une énorme barre de fer sertie à même le sol se terminait par un crochet et venait s’enclencher dans une boucle de métal sur les deux battants fermés, et garantissait contre toute poussée extérieure.

Sur la droite, passée le pignon sud, on devinait le jardin séparé de la maison par une treille qui protégeait de la chaleur la façade intérieure sur laquelle donnaient deux chambres, la cuisine et la salle de bains.
Les fenêtres de ces chambres étaient percées suffisamment bas pour que l’on puisse sans problème sortir vers la treille.
Nous passions de longues heures assis sur les parapets de ces fenêtres profitant des ombrages de la vigne.
Ce couloir ombragé entre la maison et le jardin nous servait de salle de jeux, et nous aimions selon les cas y jouer au croquet, aux boules, à l’école ou encore y faire du théâtre.
Utilisant le tableau vert que nous avions reçu lors d’un précédent Noël, ma cousine Marie-Josée un été qu’elle était parmi nous, nous montrait de façon ludique comment associer des diphtongues avec différentes voyelles. Sous les dessins d’un agent de police en pèlerine, d’une mare constitué par la pluie qui tombait, et d’une machine à laver, elle nous révélait après nos vaines recherches que la solution était Flic Flaque Floc, et elle écrivait ces mots sous les dessins, nous incitant à trouver d’autres exemples illustrés comme cric crac croc ou bric brac broc.

Sous la treille, Jean mon frère aîné, officiellement fiancé à Mathilde, organisait quelquefois des surprises parties avec l’assentiment des parents.
Le sol de terre blanche éclatant sous la lumière artificielle, les dessins réguliers tracés méticuleusement à la boucharde à rouleau sur le ciment des bordures, la nuit qui se découpait au travers des feuilles de la vigne, l’odeur fraîche du vent qui dans l’obscurité semblait monter le long des ceps à l’écorce ridée, tout contribuait, ces soirs là, à faire chanter la musique d’une façon indescriptible, et à pousser nos éclats de rire dans le soir.
La chambre attenante, dont la fenêtre était ouverte, abritait le tourne disques, on disait aussi le pick up. Bien qu’officiellement interdits de séjour dans ces divertissements pour grands, mon frère Damien et moi y assistions cachés à plat ventre sous l’un des lits, poussant même notre audace jusqu’à débrancher le tourne disques aux moments les plus intenses de la fête.
Pour être franc, je dois préciser que j’avais quelquefois un rôle dans ces fêtes. Ma future belle sœur insistait souvent pour que j’interprète devant l’assemblée, la chanson El Beso en España.
Cette chanson décrit comment la femme espagnole use du baiser comme le symbole de son attachement à l’amour véritable. Un baiser que l’on ne donne jamais par hasard mais uniquement lorsque l’on a rencontré l’homme que l’on aime.
Ces paroles que je ne comprenais pas vraiment, suscitaient des rires nerveux lorsque je les chantais et surtout l’ironie des adultes devant la naïveté du chanteur.
A l’époque, Joselito, l’acteur et l’enfant à la voix d’or jouissait d’un grand succès. Mes parents de culture espagnole écoutaient ses chansons, et celles des grands de la chanson espagnole, Manolo Escobar, Juanito Valderrama, mais aussi Gloria Lasso et Los Marcelos Ferial avec leurs reprises de Cuando calienta el sol, et de el Berebito.

Mon père, lui, de sa voix forte et bien placée, nous enchantait en reprenant la chanson El emigrante dont on savait qu’elle le faisait vibrer tant elle lui rappelait sa propre histoire.
Une main grande ouverte devant ses yeux, l’autre qui balayait l’espace devant lui, il plissait son front pour chanter :

- Cuando salí de mi tierra, volví la cara llorando, porque lo que más queria atras me lo iva dejando

(quand j’ai quitté ma terre, j’ai tourné la tête en pleurant, tout ce que je désirais le plus au monde, le l’abandonnais derrière moi !)

Il marquait à ce moment là, entre chacun des vers, un silence, comme hésitant à prononcer ces mots graves et lourds de sens.

Toutes ces chansons constituaient le répertoire familial, que nous connaissions par cœur et chantions à tue tête avec nos parents lors des déplacements en voiture.

Bien entendu, lors de ces surprises parties, les musiques nostalgiques cédaient rapidement la place aux rythmes à la mode, le rock’n’roll et le twist.
A l’occasion d’une de ces surprises parties, j’avais découvert que mon cousin Christian savait twister comme un dieu et que ses démonstrations étaient toujours applaudies.
Ses jambes maigres serrées dans un pantalon bleu marine il esquissait le fameux mouvement de hanches du twist. Il faisait alors progressivement descendre son torse vers le sol, posait un genou à terre, son autre jambe tendue lui servant d’appui pour se redresser ensuite. Il laissait onduler sa jambe tendue au rythme de la musique tandis que ses bras et sa tête s’agitaient à contretemps.

C’est ce même Christian que je revois un jour assis dans le bureau de la maison, une serviette autour du cou, l’air abasourdi derrière sa moustache, les pieds dans une bassine d’eau chaude. Ce jour là, plusieurs jeunes d’Aïn-El-Arba sous l’impulsion de l’un d’entre eux qui avait « emprunté » la voiture de son père avaient été victimes d’un accident heureusement sans gravité.
Cet événement avait été couvert par ma mère et ma Tante Lucia qui étaient allées jusqu’à reprendre le costume du conducteur imprudent dont la veste avait un accroc difficilement explicable aux yeux d’une mère attentive.
Les autres passager dont Christian et la sœur du conducteur étaient choqués par la chute de la voiture dans le fossé sur la route du Hameau Perret.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

l'accident de Christian que tu cites s'est produit aprés le conseil de révision - ils partaient faire la fêtes des nouveaux conscrits et la fête a fini dans un fossé sur la route d'Hammam-bou-Hadjar.