14 janvier, 2007

MON NOUVEAU SOUVENIR D'AÏN-EL-ARBA ( 2)

La maison familiale, la dernière du village avant l’Oued était protégée par un mur de clôture, un rempart qui nous isolait de l’extérieur, une fois le seuil franchi.

Une maison longue aux fenêtres basses protégées par des grilles offrait une façade, banale, derrière son crépi vieux jaune, qui cachait la cour et le jardin dont on ne pouvait soupçonner l’existence.
Mes parents avaient acheté le 29 août 1950, un terrain de 8 ares, sur lequel était construite une petite maison carrée dont la surface étaient divisée en 4 pièces identiques. Cette bâtisse avait été agrandie vers l’est par l’ajout d’une superficie identique qui abritait les pièces de jour. L’ancienne et la nouvelle construction étaient séparées par un corridor. Attenant à la maison une treille protégeait la façade sud, et était prolongée par un jardin et un poulailler, le reste du terrain servait à entreposer le matériel de l’entreprise de maçonnerie de mon père.
L’occupation du terrain laissait à notre discrétion une part importante de la cour dont nous avions découpé l’espace selon des règles édictées par les bouya cramanous une tribu imaginée par notre frère Sébastien dont nous devions respecter les coutumes et nous soumettre à la Loi.

Chaque après midi au retour de l’école, je franchissais le seuil de la maison, traversais le couloir pour me diriger vers la cuisine et y déposer mon cartable ou parfois les courses que ma mère m’avait demandé de faire.

Je cherchais qui se trouvait dans la maison, Ma mère toujours présente dans l’une ou l’autre des pièces, souvent dans le bureau où se tenait sa machine à coudre, ou Ouafya notre bonne algérienne m’accueillait généralement.

Mes arrivées dans la maison étaient toujours tonitruantes, je voulais signaler ma présence en criant
- Maman ! Maman !

Une fin d’après midi, qu’elle se tenait dans l’une des chambres dont les fenêtres donnaient sur la treille, s’escrimant à faire fonctionner la machine à tricoter ERKA que sa sœur lui avait laissée à son départ de France.
Mes cris enthousiastes avaient provoqué une telle inquiétude, qu’elle avait planté là, les poids qui tendaient le tricot en cours, et les diminutions qui devaient donner au raglan qu’elle fabriquait cette courbe élégante sur les épaules.
En se précipitant vers moi, elle avait constaté que j’étais bien portant et que rien dans mes hurlements ne laissait présager l’annonce d’une catastrophe.
Déçu de la façon dont elle accueillait mes initiatives dont j’avais longuement préparé les effets sur le chemin de l’école, je me réfugiais dans la cuisine.
J’y retrouvais la sérénité propice aux réflexions qui traversaient mon jeune cerveau dont je découvrais les innombrables possibilités.

Une grande table ovale soutenait mes méditations. A sept ans passés, un porte-plume à la main, je traçais avec rapidité les lettres violettes de ma première punition.

Ce travail terminé, je restais rêveur, à observer les détails géométriques de la toile cirée neuve, et les tartines de Gervais sucrées posées devant un grand bol de café au lait.

Sur ma gauche derrière une double porte vitrée, la salle à manger aux meubles d’acajou cirés aux portes rehaussées d’un décor en métal argenté, se reposait la semaine des repas bruyants du dimanche.

Dans cette même pièce, derrière les deux grandes portes coulissantes d’un placard mural que l’on pouvait, avec beaucoup de précautions, faire glisser sans bruit aux heures chaudes de la sieste, se trouvaient nos tirelires champignons rouges, dans lesquelles nous prélevions clandestinement, mon frère Damien et moi, quelques larges pièces de vingt francs.

Les dimanches cette pièce étaient le lieu de réunions toujours bruyantes, des repas commencés au début de l’après midi, après la messe et la tournée des cafés, et s’éternisant jusqu’au début de la soirée.
Les tablées étaient nombreuses, et à la fin du repas mon père se livrait à quelques tours de magie dont il avait le secret, ou nous apprenait comment transformer des fruits et des serviettes en petits animaux facétieux.
Une banane dont la tête avait été entaillée sur les cotés et à sa base devenait un groin de cochon avec deux oreilles et une gueule dont on actionnait l’ouverture en en tirant sur la peau du fruit qui en avait été détachée uniquement sur la partie supérieure.
Les mandarines épluchées avec soin pour en retirer les quartiers sans déchirer la peau étaient transformées en lanterne ou en panier avec une anse élégante.
Un bourricot avec son bât était obtenu en posant sur un quartier d’orange un autre qui avait été tranché par le milieu de façon à maintenir un lien entre les deux morceaux. Le quartier d’orange qui recevait le bât était animé d’un mouvement de bascule et les adultes nous disaient :

- Regarde le petit bourricot comme il bouge !

Retenant encore notre attention, il nous montrait comment il faisait passer alternativement son index de la main droite à gauche et à droite de son majeur. Il faisait, en fait, alterner très rapidement autour de son majeur l’index et l’annulaire en tapant sur la table pour détourner notre attention. Un petit bout de papier collé sur son majeur démontrait aux enfants crédules que nous étions que ce doigt restait immobile.
Sa construction favorite consistait à placer sur le goulot d’une bouteille une pièce de un franc sur laquelle il faisait tenir en équilibre un bouchon percé d’une aiguille et piquée de deux fourchettes. Il faisait alors tourner cet ensemble à l’équilibre instable éprouvant à cette prouesse une joie équivalente à la notre.
Quand il était particulièrement en forme, un autre de ses tours consistait à plier une serviette en forme de lapin à grandes oreilles. Il posait cet animal contre sa poitrine au milieu de ses bras habilement croisés. Il le caressait d’une main tandis que de l’autre il imprimait des mouvements à la serviette qui devenait ainsi un lapin agile. Lorsque nous approchions du lapin, une poussée plus forte le faisait bondir à notre visage provoquant cris rires, mais aussi quelques pleurs chez les plus petits.
C’est dans cette même salle à manger que mon frère Jean, au mépris des avertissements paternels avait continué à se balancer sur une chaise devant la double porte vitrée et avait fini la tête dans la menuiserie et les petits carreaux déclenchant la colère parentale.
Tcha Tche notre grand-oncle maternel s’était lui aussi illustré dans cette pièce en laissant tomber dans un magnifique plat de macaronis gratinés une bouteille qui s’y était brisée en mille morceaux.
Le plat jeté à la poubelle, laissant les convives sur leur faim, Tcha Tche s’était juré de ne plus jamais toucher à un plat de macaronis.

J’en étais à évoquer ces images, lorsque l’une de mes tantes, Antoinette, la plus jeune sœur de Maman montra son visage à la porte toujours ouverte qui donnait de la cuisine dans la cour.

- Tu ne joues pas avec les autres ?
- Non, je termine mon travail !
- Ay ce gosse !

Elle avait traversé la pièce comme une musique, et je me souviens d’avoir eu soudain ce sentiment très fort de fin de quelque chose ou d’une époque, peut être la radio jouait-elle, nostalgique, dans la pièce d’à côté.

Dehors, Il faisait très chaud bien qu’il soit déjà plus de 18h00. Le soleil rasant entrait par la fenêtre au-dessus de l’évier dont il jouait avec la céramique blanche pour inonder la pièce de sa lumière crue.

Deux bouteilles de verre remplies de l’huile de friture que l’on filtrait après usage étaient posées devant la fenêtre et magnifiaient les rayons du soleil d’un jaune verdâtre.
De retour d’une tournée mémorable avec son ami Damian, Tcha Tche, mon grand oncle maternel, encore sous le coup de la soif malgré les nombreuses anisettes ingurgités avait vu dans ces bouteilles, dont la couleur sombre lui disait qu’elles devaient contenir du vin, le moyen de finir en beauté le marathon alcoolisé du dimanche. Ce n’est qu’à mi bouteille que ses papilles ont transmis à son cerveau embrumé le signal lui précisant qu’il venait d’avaler un demi litre d’huile de friture.
Cette purge auto administrée, dont les conséquences furent quasi immédiates, fait encore rire toute la famille aux dépens de notre grand-oncle fantasque

J’avançais jusqu’à la porte de la cuisine dont l’entrée était protégée par une marquise en tôle ondulée, et regardais comme une dernière fois la volière dite aux 21 canaris, dont les montants en bois, et même le grillage avaient été peints en jaune.

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