25 avril, 2007

L'ARRIVEE A BOURGES

Le voyage en train reprit et la consommation de cigarettes mentholées avec.
Nous somnolions tous dans notre compartiment, transportant chacun dans nos pensées et nos rêves une part d’Algérie que nous voulions jalousement garder comme un réconfort personnel pour affronter ce qui nous attendait.
En regardant mes compagnons de voyage, je les replaçais chacun dans un contexte différent de celui du compartiment du train.
Cela les reliait à des événements vécus, à des lieux et des personnes connus.
Pour la première fois dans ce train je passais en revue différents événements que je situais mentalement chacun dans un endroit de la maison ou du village pour essayer de ne pas les oublier.
Cet exercice de mémoire ne m’a plus quitté dès lors. Je suis encore étonné, aujourd'hui, de la permanence de ces souvenirs, et de leur caractère récurrent.

Ce voyage approchait de la fin. Il avait été une parenthèse merveilleuse pour ne pas dire enchantée. Elle avait été suffisamment longue pour nous laisser le temps de la réflexion.
Nous avions maintenant défintivement quitté Aïn-El-Arba et rulions dans un train vers Bourges. Cette certitude compensait toutes les interrogations qui avaient surgies dans l'aronde vers Oran, puis au Port et dans le bateau. Dans ce train nous étions sur les rails de l'avenir.
J'essayais de me mettre à la place de mon père, de penser comme lui, de considérer son
parcours personnel depuis son arrivée à Aîn-El-Arba jusqu'à son départ vers Bourges.
La lecture assidue du livret de famille et de quelques documents d'identité de mes grands parents me donnait une connaissance précise des principales dates de l'histoire familiale. Ma maîtrise du calcul mental me conduisit à établir une sorte d'arithmétique paternelle.
Né en 1907 en Espagne il était arrivé en Algérie en 1922. Cela donnait quinze années d'une vie difficile perturbée par la mort de sa mère, l'obligation de travailler à l'âge de huit ans et la perte de trois doigts dans un accident sur le pétrin de l'oncle boulanger qui l'employait. Son mariage à trente et un ans, en 1938, nous donnait à nouveau seize années à construire l'homme qu'il était devenu et à s'imposer comme l'époux de
Denise dont les parents avaient immigrés en 1909. La mère de Denise n'était autre que la soeur de sa propre mère. En 1950, douze années plus tard, leurs efforts conjoints leur permettait d'acheter la maison dont nous étions partis. Enfin en 1962, après douze années de vie dans cette maison, il la quittait.
Pour moi, les choses étaient plus simples. Ma première étape arithmétique m'emmenait de 1952 à 1962. J'avais vécu mes dix premières années de vie, et je me souciais
uniquement d'en cristalliser les souvenirs dans ma mémoire.
Dans le cahotement du train et la fumée verte des cigarettes mentholées, je construisais un personnage idéal dont la vie évoluerait par étapes de dix à quinze ans comme celle de mon père.
Les jeux dans la cour, mon père constructeur de sa propre maison, les billards des cafés le dimanche, l'omelette de Vincent, tous ces événements revenaent comme autant de points dont je sentais inconsciemment qu'ils me seraient un jour de quelque utilité.
Nous approchions maintenant de la gare de Bourges. Dans un crachotemment inaudible, la voix du contrôleur le confirmait.

Le train ralentissait doucement, il s'arrêtait, nous devions descendre dans cette ville dont nous ne connaissions que le nom : Bourges.
Sur les quais gris nous amrchions la tête levée vers le ciel. Cette gare me parut immense perdue entre les voies.
Par dela les murs et au dessus des verrières du quai, le ciel était bienveillant, il nous attendait.
En fait de réconfort, une surprise de taille nous attendait à notre descente du train en gare de Bourges.
A peine étions nous descendus du train que nous entendions, derrière nous, une voix nous interpeller :

- José, Joseph, Marinette, les gosses !

Ce « les gosses » je me le rappelle encore.
Une femme élégante, vêtue d'un imperméable clair, les cheveux soigneusement tirés en arrière sur la nuque, courait derrière nous. Elle nous faisait de grands signes en répétant cette phrase magique :

- José, Joseph, Marinette, les gosses !

Il s’agissait de ma tante Antoinette, qui revenait d’accompagner mon frère Sébastien à Besançon chez mon Oncle Manuel.

Aucun commentaire: